Maladie
Décembre 2007
Papa a rapproché Mamie. Arrivée à Louvres dans une résidence pour personnes âgées. C'est depuis, seulement, que nous avons dû faire face à cette maladie.
Un véritable départ vers l'enfer. Voir sa grand-mère perdre son autonomie, celle qui me protégeait lorsque j'étais enfant, c'est extrêmement déstabilisant. Si cette folie attaquait sans aucun moment de lucidité pour le malade... mais ma grand-mère se rend compte de ses défaillances.
La souffrance morale c'est l'horreur de cette maladie. Ma grand-mère est prisonnière de son cerveau. C'est sans doute la pire des prisons, d'autant qu'elle est consciente d'avoir les moyens nécessaires pour sa liberté ; ils sont inscrits dans sa mémoire mais elle n'arrive plus à les trouver et à les utiliser. Quelque chose agit comme un barrage, l'empêchant d'accéder à ses propres savoirs, ses propres acquis.
A Louvres, elle s'est retrouvée incapable de gérer ce nouvel espace. Dépourvue de repères, elle ne pouvait plus lutter contre sa maladie et faire volte-face comme elle l'avait fait pendant si longtemps.
Avec cette maladie, tout devient difficile à gérer même les actes les plus anodins du quotidien.
Une fois, je l'ai retrouvé nue. Elle n'osait pas ouvrir la porte. Lorsqu'elle m'a vue, j'ai lu sur son visage un véritable soulagement. Il y en avait partout. C'était tellement dégradant pour elle. Elle ne cessait de répéter : « Je n'ai jamais vu ça, je n'ai jamais vu ça... » comme pour justifier son incapacité à gérer la situation. C'était très triste car il n'y avait rien d'autre à faire, que de tout nettoyer à grandes eaux. Mais tel un petit enfant, elle n'avait pas su.
Si je n'étais pas passée ce matin-là ?
Elle serait restée des heures enfermer dans cette salle de bain avec de la merde partout...
Une autre fois, c'est mon frère qui l'a retrouvée enfermer dans sa chambre, ne sachant pas comment en sortir. A ce moment précis, l'angoisse aidant, la poignée de la porte ne faisait plus partie du vocabulaire de ses souvenirs.
Je n'ose pas imaginer ce qu'elle a vécu. Combien de temps est-elle restée enfermer dans cette chambre ?
Aujourd'hui que lui reste-t-il ? Quelle vie ?
Depuis mai 2008, on l'a enfermée dans cette maison qui ressemble à une prison de vieux et de fous. Elle n'y est pas maltraitée, mais je sais qu'elle est malheureuse. Qui ne le serait pas ? Assise toute la journée dans un couloir, en attendant...
En attendant rien !
Juste que le temps passe : les heures, les jours, les mois et des fois même des années. Ce temps qui n'en finit pas, cette mort qui ne vient pas. C'est la définition de l'enfer.
Mais qu'ont-ils fait pour mériter ça ?
Pourquoi s'accrochent-ils autant à la vie ?
Et Mamie, survit-elle pour profiter de ces simples et seuls moments de bonheur nos uniques visites hebdomadaires ?
Je ne sais pas.
Je ne sais plus.
Seuls mes enfants semblent la réjouir. Et encore, certaines fois...
Lorsqu'elle va partir, quels bagages elle apportera avec elle ? Et ces souvenirs perdus le sont-ils à jamais ? Comment croire dans ces conditions à une vie éternelle ? Sa mémoire lui fait défaut de plus en plus, sera-t-elle capable de reconnaître mon grand-père, son mari ? Et sa maman, et ses sœurs ?
Et lorsque viendra mon tour de la rejoindre, me reconnaîtra-t-elle ?
Sans souvenir, atteinte de folie peut-elle encore espérer rejoindre le paradis ou est-elle condamnée à rester en enfer ?